Une vie par terre

D’abord, on voit un tas de couvertures qui jonchent le sol, des pigeons gris sale qui picorent tout autour, des papiers gras, des sacs plastiques, des gobelets en carton.

Il fait froid. C'est l'hiver. On est sur le terre-plein central où se croisent le boulevard de la Villette, l’avenue Jean-Jaurès, la rue La Fayette et l’avenue Secrétan. Sous le métro aérien, station Jaurès.

On vient de quitter des amis avec qui on a passé un moment. On sort du collège. On retrouve son amour après le travail. On va au cinéma. Ou on en sort. On passe par là. On baisse les yeux. On ne s’est jamais habitué à voir les gens dormir dehors, mais on dirige son regard vers là où l’on va. On accélère le pas. On entend une rame de métro qui approche et qui nous ramènera à la maison.

Le lendemain, on passe au même endroit. Les pavés bien équarris sont humides. La montagne de couvertures est toujours là.  Elle bouge. On aperçoit un bras. Un bras qui s’allonge. Une main qui prend appui sur le sol. Une tête surgit, les cheveux coupés court. Poivre et sel. Un corps peine à se hisser debout.

C’est une femme. Elle est sale. Elle ne porte qu’un tee-shirt, sale lui aussi. Un tissu autour de la taille. Elle n’a pas de regard. Elle est sous le métro aérien. Absente à la ville qui l’entoure. Elle tient à peine sur ses jambes. Les pigeons s’écartent sur son passage. Un peu plus loin, elle pisse sans se baisser. A découvert. A quelques pas de sa couche.

Elle est seule. Nous aussi. Elle est sale. Nous aussi. Cernée par les voitures grises. Parmi les détritus.

Le printemps revient. Les températures remontent. Elle est toujours là.













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